La psychanalyse au service du plus grand nombre

Qu'est-ce à dire ? Depuis l'époque de l'antiquité jusqu'au début du XXe siècle, toute différence de fonctionnement, tout comportement non orthodoxe était considéré comme étant de l'ordre de la folie – terme derrière lequel il va sans dire que chaque époque a mis les consonances qui étaient les siennes – était enfermé, caché, parqué, derrière des murs de honte et d'incompréhension. Rebut de la société, l'aliéné était enfermé sans espoir de ressortir un jour guéri ni même celui d'être la cible de soins à visée curative. Le seul but étant celui de l'empêcher de se nuire et de nuire au reste de ses semblables par l'isolement et par l'entrave, même si des essais de traitements « corporels » ont vu le jour, comme une sorte de transition, un lien entre la période de déshumanisation des personnes atteintes de maladies mentales et celle actuelle où l'on est venu à s'interroger sur la vie psychique du fœtus. Je ne vois pas là d'opposition mais bien la continuité d'une histoire qui aurait eu bien du mal à s'interroger sur l'étiologie d'un comportement anorexique par exemple à une époque où tout événement n'était perçu que comme manifestation divine ou diabolique. Mais même après Charcot, et le virage qu'à pu prendre la psychiatrie à ce moment-là, les choses n'ont progressé que relativement lentement puisque par exemple sous la domination nazie les malades mentaux étaient assassinés, laissés, entre autres traitements définitifs, mourir de faim. Même s'il s'agissait là de « l’œuvre d'un fou », il n'en reste pas moins que c'était il y a très peu de temps. On le voit donc : penser qu'il y a quelque chose à comprendre dans le psychisme humain est récent, à l'échelle de vie de l'humanité. Et même s'il est bien évident qu'une évolution considérable a déjà apporté bon nombre de progrès qui auraient soulevé l'incrédulité il y a quelques décennies seulement, les balbutiements de ce sujet d'étude peuvent laisser supposer bien d'autres avancées encore. Alors ne soyons pas trop prompts à nous enfermer nous même dans un cheminement univoque.
Ce passé concernant la maladie mentale, houleux, douloureux, a laissé des traces. Et les troubles psychiques, parfois même les plus anodins, y sont vite associés, dans la représentation imaginaire d'un grand nombre de personnes. A l'échelle familiale et filiale, quelques générations suffisent pour se retrouver au XVIIIe siècle ou même avant, et on comprend qu'une filiation qui a vécu de près la folie et l'internement d'un de ses membres sans pouvoir en dépasser le traumatisme ait pu en transmettre la crainte à ses descendants – ou l'attrait, un peu comme la personne sujette au vertige est attirée par le vide. Ainsi, dans l'imaginaire collectif, le trouble, la perturbation psychique renvoient à la folie de ces temps anciens où l'être humain, effrayé par ce qui lui était incompréhensible, essayait de le faire disparaître d'une manière ou d'une autre...
En psychanalyse, on dit qu'on ne s'attaque pas au symptôme. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela signifie qu'on ne va pas le prendre de front pour essayer de le faire disparaître. D'abord, cela ne marcherait pas : il ne ferait que se renforcer comme un animal acculé devient de plus en plus féroce. Au lieu de cela, on va s'en servir, on va l'utiliser pour aller trouver les fils qu'il conviendra de dénouer l'un après l'autre au fil des séances pour que finalement le symptôme chute. Pour comprendre cette approche d'apparence détournée, il suffit de se demander combien de personnes qui fument se sont dit qu'elles feraient mieux d'arrêter pour les raisons que tout le monde connaît : ce n'est pas bon pour la santé, le tabac froid sent mauvais, il y a peut-être des enfants à la maison, ou des personnes asthmatiques, etc., etc. Et combien d'entre elles le font ? Définitivement? Combien de personne qui se disputent systématiquement avec une personne précise de leur entourage et qui se disent qu'on ne les y reprendra plus. Y parviennent-elles ? Et une personne qui a la phobie des pigeons. Suffit-il qu'elle se dise que c'est ridicule, que ces oiseaux ne sont pas méchants ni même dangereux et bien d'autres choses fort raisonnables pour que leur peur disparaisse ? S'il suffisait de prendre le problème de front, si c'était si simple, alors personne n'aurait de problème puisque chacun réglerait ses difficultés au fur et à mesure qu'elles se présentent. C'est bien qu'il y a autre chose derrière, d'autres enjeux, cachés, dissimulés avec beaucoup d'efficacité aux yeux même – et surtout – de la personne directement concernée.
Derrière nos difficultés à vivre, il y a toujours une origine multifactorielle : une histoire familiale, des traumatismes psychiques, des traits de caractères, des conflits internes... A chaque carrefour entre ces divers facteurs, il y a un nœud, un endroit où l'on s'arrête, où l'on tourne en rond, où rien ne va plus. Pour rester sur cette image, en travaillant sur des voies dites secondaires, en les rendant plus fluides, en y permettant une libre circulation de l'énergie, on permet à tout l'ensemble du réseau de se libérer de ses surcharges, de ses intrications, de ses blocages.
L'alter égo, l'autre en tant que sujet, notre semblable différent a pour condition d'existence que nous nous positionnons nous même en tant que sujet, individu dans le sens de l'individuation jungienne : un être conscient, de ses qualités et de ses défauts, mais aussi de sa liberté et de ses limites, de son désir, cohérent avec lui-même et indépendamment du jugement des autres, famille et même filiation comprise. Qu'est-ce à dire ? S'agit-il de s'opposer à ses parents et à sa famille au point parfois de se mettre tout le monde à dos ? Certes pas, car les excès ne sont jamais bons, quel que soit le côté de la balance dans lequel ils pèsent. La famille est structurante, ne serait-ce que parce qu'elle est elle-même une structure dans laquelle il est possible de vivre et de grandir ; et ce même quand la famille fait défaut, puisque dans tous les cas, jusqu'aux plus complexes, la famille d'origine a permis une famille ou une structure d'accueil et de remplacement dans laquelle il est possible de vivre et de grandir. Dans tous les autres cas, il n'y a pas de vie possible car un bébé laissé sans soins, sans chaleur et sans nourriture ne survit pas très longtemps. Tout être vivant a donc une histoire personnelle, une histoire familiale, et une histoire transgénérationnelle qui ont fait de lui ce qu'il est devenu. C'est en ce sens que la famille est structurante et qu'elle est aussi un héritage précieux, alors même qu'on croit vouloir s'en défaire parce que pour les raisons qui nous sont propres on le trouve trop lourd, cet héritage. Mais dans tous les cas, même dans celui où il a été « parfait » - ce qui ne peut être qu'une illusion, puisque s'il est parfait, pourquoi s'en détacher ? Et si on ne peut pas s'en détacher, il n'y a pas de sujet possible (dans le sens qui nous intéresse) – dans tous les cas donc, il va falloir la faire sienne pour pouvoir en émerger, individu membre d'un héritage commun mais différents de ses autres membres.
La psychanalyse agit au niveau de l'inconscient. Il existe bien d'autres formes de thérapies, à la différence que leur action se situe au conscient. Tout axe thérapeutique est bon en soi, mais tous ne correspondent pas à tout le monde. C'est à chacun de trouver la méthode qui lui convient, à l'instant T. Ainsi, je suis moi-même passée par l'analyse transactionnelle avant d'être prête pour la psychanalyse, même si avec le recul je peux dire que j'en avais déjà une pré-conscience dès l’âge de 12 ans. Mais je n'ai été prête que bien plus tard. Il convient donc pour chacun d'aller vers la méthode qui lui correspond aujourd'hui. La méthode qui nous convient à un moment donné, c'est quoi ? C'est tout simplement celle avec laquelle nous nous sentons le plus à notre place, celle qui nous parle, qui nous donne le désir d'aller y voir de plus près, celle dans laquelle nous nous sentons bien. La psychanalyse, parce qu'elle est une méthode qui permet d'agir directement sur l'inconscient, n'est pas une méthode facile. Et je ne parle pas ici pour l'analyste ni même pour l'analysant (le patient analytique), mais pour l'inconscient de ce dernier. Pour cette raison, elle est bien souvent une sorte d'acte désespéré, on a tout essayé avant sans résultat probant, et on finit par aller voir de ce côté-là, en désespoir de cause. C'est simplement qu'il a fallu passer par tout ce cheminement pour finalement être prêt pour l'analyse. Il est donc tout à fait inutile de « forcer » quelqu'un à venir en analyse, ça ne peut être qu'une démarche personnelle qui s'inscrit dans un désir, même s'il est véhiculé par le ras-le-bol d'une situation douloureuse par exemple.